La création d’objets activés lors de performances et la pratique du dessin sont au cœur de l’œuvre poétique de Jisoo Yoo.
Synonymes de précarité, ses sculptures en tissu ou en matériau gonflable sont vulnérables comme l’air et l’eau. La Maison en l’air a été créée à Pantin (où l’artiste vit). Elle a voyagé en France et en Corée (où l’artiste est née). Avec ses quatre murs et son toit pointu, ce gros ballon transparent aux reflets irisés menace de s’envoler. Dans les rues, sur les places, Jisoo Yoo le manœuvre avec prudence en le retenant par ses cordes. Son socle est formé d’une demande de carte de séjour adressée à la France. Provisoires, l’exil et la protection risquent à tout moment d’être emportés par le vent.
La Chambre gonflable prolonge cette réflexion. Petit à petit le mobilier en plastique translucide apparaît en taille réelle, puis disparaît tel un fantôme. Dans une œuvre antérieure, avec du tissu blanc, l’artiste avait imité les meubles de sa chambre d’enfant et les avait réduits en lambeaux à coups de cisaille ; pour symboliser la violence de l’arrachement à sa culture d’origine, elle s’était métamorphosée en femme-ciseaux dans une vidéo de 2014.
Vêtue de tenues claires, pieds nus, Jisoo Yoo accomplit elle-même des performances intenses qui interrogent les coutumes sociales. Illustrant l’impératif Sois discrète, elle revêt une robe à grelots pour épingler les codes de conduite induits par le mariage homosexuel. Dans l’étonnant Makeover, elle déjoue l’interdit d’exposer son sexe en cousant une toison noire sur le justaucorps de couleur rose qui moule ses formes. Dans une autre intervention, son corps entravé par les liens arachnéens presque invisibles est raccordé aux Marionnettes qui sont des vêtements suspendus en l’air.
Le fil est synonyme d’attache et de dépendance. Mais l’artiste coud avec autant de patience qu’elle dessine. Minutieux, ses tracés à l’encre ou à l’acrylique font naître des formes cachées plutôt mystérieuses. Il ne faut pas se fier aux apparences, l’eau ne dort pas, la surface est agitée par des remous et les rochers roses sont une concrétion de visages illustrant Les Pensées. Même l’invention d’une flaque d’eau moulée en résine peut semer le trouble : Au milieu de mon rêve, j’ai entendu un bruit.
Avec sobriété, Jisoo Yoo dit explorer « les frontières visibles et invisibles ». Une belle façon de montrer l’instabilité de nos repères et la difficulté de vivre librement entre deux cultures.
Carole Boulbès, Historienne et critique d'art Juin 2020